Voici mes réflexions et suppositions sur le fait que les fonctionnaires en France ne favorisent pas toujours l’intégration des réfugiés, mais y font parfois même obstacle.

Tous les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile où j’ai vécu se trouvaient en périphérie des villes. L’un était profondément enfoui dans une zone industrielle, d’autres au bord d’une forêt.

Aujourd’hui, nous vivons également à l’écart, mais cette fois dans un quartier résidentiel situé sur une colline, avec de mauvaises liaisons de transport vers le centre-ville. Mes amis français m’ont expliqué ce type d’implantation par le faible coût de l’immobilier et du foncier dans ces zones. Cela permettrait, selon eux, de réduire les dépenses.

Dans les grandes villes, cela se comprend et s’explique. Mais dans les petites villes, où le prix de l’immobilier dépend moins de la localisation, cette logique soulève déjà des questions. J’étais naïvement convaincu que l’État français — c’est-à-dire les décideurs et les fonctionnaires ordinaires — avait compris les dangers que représente la formation de ghettos.

Je pensais que ces quartiers commençaient peu à peu à être démolis et leurs habitants relogés, de manière à être répartis plus équitablement dans la ville, ce qui contribuerait en même temps à l’assainir. Il me semble que, formellement, au niveau conceptuel, c’est bien l’idée. Mais dans la réalité, tout semble fait pour que les ghettos demeurent. Et cela, de manière parfaitement consciente.

Pour que les ghettos disparaissent, il suffirait de répartir les logements sociaux de manière plus homogène dans les différents quartiers des villes, et de ne pas empêcher les gens de déménager vers des zones plus décentes. Car les migrants et les Français ayant des difficultés de vie ne sont pas encore si nombreux. Et si tous ces gens vivaient à proximité des habitants ordinaires, ils auraient plus de chances de s’intégrer.

En réalité, pourtant, les « personnes à problèmes » continuent d’être regroupées dans des « quartiers à problèmes ». Il me semble que c’est tout simplement plus commode pour les autorités et les services sociaux. J’ai même le sentiment que cette approche ne date pas de l’après-guerre, quand on a commencé à construire des logements bon marché en périphérie des villes françaises.

On a l’impression qu’il s’agit d’un consensus social hérité de l’époque coloniale : on entasse les problèmes dans un coin, pour qu’ils ne nous dérangent pas. Oui, ces quartiers peuvent paraître corrects. Parfois, ils disposent même d’une certaine infrastructure. Mais c’est justement en raison de leur statut et des importants investissements publics dont ils bénéficient régulièrement.

Extérieurement, tout semble propre et neuf. Mais à l’intérieur, tout est pourri. Le problème est systémique, et de simples injections financières ne suffisent évidemment pas. Il faut une approche fondamentalement différente dans le travail avec les personnes en situation de vulnérabilité. Pour l’instant, on ne voit surtout que de la mise en scène.

Par exemple, un « centre de santé » a ouvert cet été à côté de notre immeuble. Mais il est impossible d’y obtenir un rendez-vous. À la clinique, on nous a dit qu’ils ne prenaient plus de nouveaux patients, alors même que nous nous sommes présentés presque immédiatement après l’ouverture.

Je parierais que, bien que ce centre ait été inauguré dans une « zone prioritaire » censée servir la population locale défavorisée, en réalité, il est probablement réservé aux habitants du quartier pavillonnaire environnant. Dans ce secteur résidentiel vivent des gens de la classe moyenne, tous motorisés et indépendants des infrastructures locales. Ils vivent ici comme à la campagne, se rendant en ville en voiture pour leurs affaires.

Nous, en revanche, dépendons des transports. Et ceux-ci, hélas, se dégradent. En septembre, « à la demande des usagers », l’itinéraire du bus a été modifié : il ne passe plus devant notre arrêt. Le bus circule toutes les trente minutes. Et pour que les services de transport rétablissent l’arrêt à un endroit pratique, il a fallu littéralement se battre, alors même que le bus passait déjà par là.

En remplacement, on a mis en place une autre ligne, avec un intervalle allant d’une heure à deux heures et demie. Et en centre-ville, ce bus roule souvent juste derrière le principal, à quelques minutes d’écart. Résultat : les gens ne l’attendent pas et prennent le bus principal, puis terminent le trajet à pied. Je parie qu’à terme, cette ligne sera supprimée sous prétexte de faible rentabilité.

Pourtant, la véritable cause de cet échec futur est, selon moi, la mauvaise conception de la ligne, avec des intervalles trop longs, la rendant moins compétitive face à l’itinéraire existant mais raccourci. Ainsi, après cette « réforme », notre quartier, situé sur la colline, est encore plus mal relié au centre. L’arrêt est plus éloigné, et les bus ne passent, au mieux, qu’une fois toutes les trente minutes.

De plus, le dimanche, les jours fériés et après 19h30, plus aucun bus ne circule. Les personnes sans voiture sont alors littéralement enfermées dans leur quartier. Pourtant, toutes les activités se déroulent au centre, et la principale infrastructure de la ville s’y trouve également. C’est très peu pratique. Comme j’ai des problèmes de santé liés à notre logement, et un certificat médical recommandant un déménagement, j’ai sollicité de l’aide auprès de toutes les instances possibles.

Les réactions ont été variées : de l’indifférence aux tentatives de me dissuader, voire à des obstacles administratifs. Finalement, j’ai trouvé moi-même un appartement pour le déménagement. Mais la procédure administrative dure depuis un mois déjà, sans la moindre avancée. Peut-on considérer cela comme normal ? Je ne le pense pas.

Face à la résistance rencontrée lorsque nous avons voulu déménager dans un logement normal, j’en conclus que les ghettos sont le produit de décisions administratives. Pour une raison ou une autre, les autorités préfèrent enfermer les personnes qu’elles jugent « à problèmes » dans des lieux éloignés et isolés, afin qu’elles se déplacent le moins possible dans d’autres parties de la ville.

Peut-être est-ce plus commode pour les contrôler : tous les bénéficiaires sont regroupés au même endroit. Mais bien sûr, dans ces conditions, aucune intégration n’est possible. Il se forme alors un État parallèle, avec ses propres règles et normes. Des gens rejetés aux marges de la société.

Quand leurs enfants grandissent, ils aspirent à une vie normale. Mais peu y parviennent. D’où les émeutes. Car, encore une fois, ici, les règles sont différentes. Je conçois que certains soient heureux dans ces quartiers. On s’habitue à tout. Certains viennent de pays très pauvres et vivaient bien pire auparavant. D’autres se contentent des aides sociales, ou refusent simplement de travailler.

Beaucoup me rétorqueront : « Où est le problème, Sasha ? Trouve un travail et déménage où tu veux. » Mais là aussi, les choses se compliquent.

Dans mon cas, tout se bloque encore au niveau de la langue. J’apprends le français avec deux applications : Duolingo et Frello. La seconde est officielle et censée remplacer les 400 heures de cours en présentiel qui m’ont été attribuées. Mais hélas, ce n’est pas équivalent. Nous vivons à Bar-le-Duc depuis quatre mois et demi. Durant tout ce temps, aucun cours ne nous a été proposé. Dans quelques jours, des cours hors ligne avec des bénévoles doivent enfin commencer — trois heures par semaine. Comme vous pouvez l’imaginer, c’est insuffisant.

En théorie, il existe des cours complets, environ 30 heures par mois, dans d’autres villes. Mais il faut pouvoir s’y rendre. Les trains sont rares, mais il y en a. Encore faut-il rejoindre la gare. Et là, c’est le même problème : la colline, le genou malade, et un réseau de bus au fonctionnement très particulier.

Il serait plus logique de déménager dans une ville plus grande. Mais personne ne nous aidera à le faire, et nous ne pouvons pas encore assumer seuls un tel déménagement. C’est pourquoi nous voulons d’abord simplement un logement normal à Bar-le-Duc. Nous aurons sans doute des difficultés à trouver du travail ici, mais nous ferons de notre mieux.

Je suis journaliste, blogueur, marketeur et photographe. Mon épouse est économiste de banque et aussi diplômée en écologie. Il est peu probable qu’une ville de 15 000 habitants ait besoin de tels profils. Mais hélas…

Si l’on nous aide, si les papiers sont finalisés, si nous obtenons des garants et un soutien pour le déménagement, nous pourrons vivre dans un appartement normal, dans un quartier plus pratique de notre ville. Nous serons alors bien plus mobiles, avec moins de problèmes de santé, et surtout, nous pourrons nous libérer de l’atmosphère du ghetto où nous nous sentons totalement étrangers.

Nous voulons vivre parmi des gens épanouis, positifs, bienveillants et actifs. Nous voulons vivre parmi eux pour devenir comme eux. Faire des amis, travailler et devenir des Français ordinaires. Mais pour l’instant, le système s’emploie à nous dissimuler dans divers taudis. Apparemment parce que cela l’arrange. Autrefois, je croyais naïvement que l’État était au service des gens. Aujourd’hui, je n’en suis plus sûr.

On a l’impression que l’État en France est une entité distincte, qui ne nous voit ni ne nous entend. Et ce sentiment, semble-t-il, n’est pas propre aux réfugiés, mais partagé par bien des Français. Ainsi, je comprends très bien les personnes qui descendent pacifiquement dans la rue. Comment, sinon, faire entendre leurs revendications à des fonctionnaires retranchés derrière des barrières administratives ?

Pour ma part, je ne compte pas participer à des manifestations pour l’instant. Nos priorités sont ailleurs : déménagement, langue, travail, intégration. Nous voulons enfin vivre, et non survivre. Oui, je suis devenu plus fort à bien des égards. Mais mes forces ne sont pas infinies.

PS : Il s’agit de simples réflexions et suppositions. Mes informations sont fragmentaires, et je n’ai pas une vue d’ensemble. Si vous n’êtes pas d’accord ou souhaitez ajouter quelque chose, vos commentaires sont les bienvenus.


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